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«Une carte, c’est très darwinien. C’est un fait contre lequel vous ne pouvez pas aller», souligne Zahia Rahmani, une des deux commissaires de l’exposition.

Au Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) de Marseille en France, cette exposition veut montrer l’approche et la fabrique colonialiste de la France en Algérie. Si elle ne parle pas directement de la guerre d’Algérie, elle touche à un sujet toujours sensible. Et simplement en se plaçant sur le terrain de la représentation clinique, elle décrypte la violence d’un processus.

Trois temporalités ont guidé les deux commissaires, Zahia Rahmani, qui dirige le programme de recherche «arts et mondialisation» à l’Institut français d’histoire de l’art, et Jean-Yves Sarazin, directeur du département cartes et plans à la Bibliothèque nationale de France (BNF). Il y a la première époque, qui préexiste à la conquête; celle qui trace ensuite in situ le territoire; et enfin celle qui le transforme.

Ainsi, la reconnaissance générale du territoire algérien réalisée en 1808 par Vincent-Yves Boutin, un espion envoyé par Napoléon en Afrique du Nord, servira de plan d’invasion lors de l'agression française en 1830.

Les militaires français vont continuer à représenter la cartographie dès le débarquement sur les plages de Sidi-Ferruch, le 14 juin 1830. Cela donne lieu à de nombreuses productions: vues et plans d’Alger, cartes des environs de la ville, croquis des surfaces par les colonnes de l’armée d’Afrique. Loin d’être pratiques, ces représentations sont visuellement esthétiques.

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Il y a notamment une pièce majeure, le premier document fait par l’armée française sur le territoire algérien, la presqu’île de Sidi-Ferruch en juin 1830, une carte qui appartient au centre historique français de la Défense. «Quand je connais le territoire, je le trace; quand je ne le connais pas je mets un espace blanc», commente Zahia Rahmani. Certaines cartes dessinent en effet un arrière-pays rempli de taupinières et d’espaces vierges comme s’il n’y avait rien, pas même de population locale. Théodore Gudin, premier peintre embarqué avec la Marine français, mêle sur une toile les deux faits majeurs de la capitulation d’Alger: le bombardement par les canons des vaisseaux français et l’assaut terrestre.

En même pas trois ans, la ville sous sa forme ancienne va quasiment disparaître. D’autres œuvres, qui sortent pour la première fois depuis un siècle des collections de Versailles, retracent l’avancée de l’expédition militaire. Missionné par Louis-Philippe pour illustrer les exploits de l’armée française en Afrique, Jean Antoine Siméon Fort englobe ainsi une vue générale de l’expédition depuis Constantine jusqu’à Alger par le défilé des portes de fer.

Pour donner un contrepoint à ce regard colonialiste français, le parcours de l’exposition est ponctué d’œuvres contemporaines liées à l’Algérie. «Nous avons souhaité que le travail de ces artistes soit comme un contrechamp à ce qui a été absent de cette histoire : le point de vue algérien», souligne Zahia Rahmani.

Après dix ans de présence française, en 1842, est instaurée une colonisation planifiée du territoire algérien. Les populations locales sont tuées ou chassées pour donner les terres les plus fécondes aux colons européens. On le voit sur une carte de la zone réservée de Philippeville, issue des collections de la Bibliothèque nationale de France.

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A l’avènement de la Seconde République française, en 1848, l'extermination et les déplacements des algériens s’accélère. Le gouvernement française fait placarder dans les rues de Paris l’appel à la colonisation de l’Algérie aux ouvriers. Pour obtenir une concession gratuite de terre, comme le précise l’affiche exposée, il faut être français et chef de famille.

Durant la même année, soit 1848, l’Algérie est officiellement annexée à la France et divisée en trois départements: Oran, Alger et Constantine.

Bien entendu, l'exposition ne commente ni la guerre de libération, ni l’indépendance de l’Algérie. «Made in Algeria» ne montre pas non plus ce qu’est l’Algérie depuis 1962. Aurait-t-il été plus judicieux de nommer cette exposition: «Algeria, Made in France»?