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Mais pas seulement: son roman, écrit en français, raconte comment la mondialisation mènera l’islamisme au pouvoir en Europe. «Orwell a fait une très bonne prédiction et on y est toujours», observe dans un entretien à l’AFP l’algérien de 66 ans qui réside dans la wilaya côtière de Boumerdès. Selon lui, «les trois totalitarismes imaginés par Orwell (l’Océania, l’Eurasia et l’Estasia) se confondent aujourd’hui dans un seul système totalitaire qu’on peut appeler la mondialisation qui a écrasé toutes les cultures sur son chemin et a rencontré quelque chose de totalement inattendu : la résurrection de l’islam».

«Dans mon analyse, c’est le totalitarisme islamique qui va l’emporter, parce qu’il s’appuie sur une divinité et une jeunesse qui n’a pas peur de la mort, alors que la mondialisation s’appuie sur l’argent, le confort, des choses futiles et périssables», estime l’écrivain qui se dit «non croyant». Si «2084» est une œuvre de pure invention, Boualem Sansal estime que «la dynamique de la mondialisation musulmane se met en place». «Le terrain à observer est l’Europe. Après le monde arabe et l’Afrique, l’islamisme se propage aussi en Occident avec une présence physique de plus en plus visible de barbus, de femmes voilées et de commerces halal», décrit-il. L’écrivain Michel Houellebecq a, selon lui, «fait la même analyse dans son roman Soumission», où il imagine la France de 2022 gouvernée par un parti musulman.

Dans 2084, Boualem Sansal imagine un pays, l’Abistan, soumis à la cruelle loi divine d’un dieu qu’on prie neuf fois par jour et où les principales activités sont d’interminables pèlerinages et le spectacle de châtiments publics. «La peur de Dieu sera plus forte que celle des armes» et «les gens pourront vivre de peu. Ils auront juste besoin de mosquées pour prier, par conviction ou par peur», résume l’écrivain, dont les propos rappellent le projet mis en œuvre par le groupe armé Daesh en Irak et en Syrie.

Pour l’auteur du Serment des barbares, les Européens «se trompent sur l’islamisme comme ils se sont trompés sur le communisme» et sous-estiment la menace. Notamment à cause de l’autocensure sur la montée de l’islamisme, qui «tue le débat» alors que «le débat c’est comme une plante: si on ne l’arrose pas par la contradiction il disparaît». Boualem Sansal laisse cependant poindre une note d’espoir en soulignant que «les systèmes totalitaires finissent tous par s’effondrer». «Après le règne de l’islamisme il y aura une nouvelle mondialisation mais je ne sais pas sous quelle forme», présume-t-il.

Imaginant le sort de l'Algérie en 2084, il reste sombre : «Je ne sais même pas si l’Algérie existera en 2084 sous la forme d’un pays moderne relativement administré» car «la fin du pétrole va la conduire dans une situation indescriptible».

L’écrivain, honni tant par les islamistes que par le régime, juge par ailleurs «terrifiant» le flux des migrants algériens vers l’Europe et l’Amérique du Nord. «L’émigration est un vrai drame. Elle touche les riches, les hyper-diplômés. Quand elle atteint un certain seuil en volume cela veut dire que le pays ne peut être sauvé». Boualem Sansal, économiste de formation, a mené une longue carrière de fonctionnaire, en se souvenant que l'Algérie «était très agréable à vivre» lorsqu’il avait lui-même «entre 20 et 30 ans». «Après, je n’ai jamais ressenti un besoin suffisamment fort pour me dire : "je fais mes valises, je m’en vais…"».