Une «marche événement» du tribunal de Sidi M’hamed au siège du Parlement, une action-éclair qui a duré à peine 45 minutes, organisée par l’Ordre des avocats d’Alger qui en compte plus de 5000 inscrits au tableau.
Une fois n’est pas coutume, les CRS n’ont pas été conviés à la procession. Entre «auxiliaires» de justice, le baston n’est pas de rigueur. «Ouallah ghir h’chamt nedrab (j’ai eu des scrupules à taper sur des avocats)», s’épanche un officier de police. Malgré l’important dispositif policier, les avocats, cantonnés au départ dans l’enceinte du tribunal, les portes closes, ont forcé le premier barrage.

Les avocats crient leur colèreBousculés, molestés, insultés, certains ont laissé, dans la ruée générale vers le Parlement, des bouts de leurs toges, sous les regards médusés et amusés des passants, surpris par le défilé exceptionnel de robes noires entonnant des chants patriotiques. Une manif sans banderole. Une seule pancarte où était gribouillé : «L’avocat est suspect jusqu’à preuve de son innocence : non aux articles 24 et 29». Des articles qui traitent entre autres des sanctions infligées aux avocats en cas d’incident d’audience. Empruntant aux «révolutions arabes» quelques-unes des formules consacrées, les avocats ont scandé, sur le perron de l’Assemblée nationale : «Edifaâ yourid sahb el machrouâ (les avocats veulent le retrait du projet de loi)». «Avocat, pas touche !», criait-on par ailleurs. D’autres réclamaient la tête du ministre de la Justice et garde des Sceaux : «Belaïz (Tayeb) dégage !».

Des mots d’ordre en faveur des libertés démocratiques, de la justice (sociale) ? Nulle trace. «Nous ne faisons pas de politique, nous revendiquons le respect des droits de la défense», s’exclame Me Benhadj, frère du n°2 de l’ex-FIS dissous. Devant l’APN, les avocats improvisent un rassemblement d’une vingtaine de minutes. Certains ténors du barreau, le bâtonnier d’Alger en tête, Abdelmadjid Sellini, prennent la parole devant un parterre constitué essentiellement de jeunes avocats, pour souligner, entre autres, la nécessité de maintenir la mobilisation jusqu’au retrait définitif du projet portant nouveau statut de l’avocat. Lors d’une conférence de presse tenue avant la marche, Me Sellini a confirmé le «recul» du gouvernement sur l’adoption de ce qu’il qualifie de «statut de la honte». «Nous avons la confirmation, par ouï-dire, que le gouvernement a décidé de reporter sine die l’examen de ce texte pour la prochaine session parlementaire. Ce n’est pas une solution.

Surtout qu’il (le gouvernement, ndlr) ne croit pas que nous baisserons les bras. Nous serons là au mois de septembre et jusqu’à ce que ce projet de loi soit retiré définitivement ou expurgé de toutes les dispositions qui portent atteinte à l’indépendance de la profession et sont contraires aux traités et conventions internationaux signés et ratifiés par l’Algérie». A demi-mot, Me Sellini, dont c’est le quatrième mandat à la tête du barreau, menace de porter la mobilisation à un niveau national. Il exhibe, pour ce faire, une pile de correspondances envoyées par tous les bâtonniers régionaux – ils sont une quinzaine au niveau national – «exceptés deux» exigeant la tenue d’une assemblée générale extraordinaire de l’Union nationale des barreaux (UNB). Une pierre dans le jardin du président de cette institution, Me Lanouar qui, faut-il le rappeler, a donné son onction au projet de loi en question sans se référer à sa base.

Tout en apportant son soutien à la marche, Me Afif Chaouche Abdennacer, chargé des affaires extérieures du barreau de Boumerdès, un des premiers à avoir dénoncé publiquement le projet de loi en question, regrette néanmoins la chevauchée solitaire du barreau d’Alger. Il aurait fallu associer, selon lui, «un minimum» d’organisations régionales pour espérer un retrait pur et simple du nouveau statut et pour ne pas «rééditer» l’expérience du code de procédure civile et administrative promulgué en 2008, qui «bride l’avocat et qui a obtenu, de surcroît, l’adhésion de tous les bâtonniers, Me Sellini y compris». Le bras de fer ne fait toutefois que commencer.
Rappelons que la dernière mobilisation des robes noires remonte au 3 mai 2001. A l’instigation des barreaux d’Alger et de Tizi Ouzou, une marche extraordinaire s’était ébranlée, ce jour-là, du palais de justice Abane Ramdane vers le Parlement. Mots d’ordre : défense des libertés, des droits de l’homme, de l’Etat de droit et soutien à la population de Kabylie dans sa révolte.