Une viande infestéeDans deux à trois semaines, les premières commandes de viande indienne seront réceptionnées en Algérie. Il y a de cela quelques mois, pour répondre à la forte demande qui s’exprime traditionnellement durant le mois de Ramadhan, l’Algérie a décidé d’importer 10 000 tonnes de viande. Les destinations habituelles du Brésil et de l’Argentine étant fermées car jugées trop chères, option a été prise d’ouvrir le dossier de l’Inde, un pays où la tonne de viande est de 200 dollars moins chère qu’en Amérique latine.

Pourquoi les autorités en charge de ce dossier ont-elles décidé d’ouvrir l’Inde ? Selon nos sources, les acheteurs de la Société de transformation et de conditionnement des viandes (Sotracov) ont raté une fenêtre d’achat. Dans l’incapacité d’acheter sur les marchés européens et brésilien à une période d’approvisionnement propice, qui se situe entre décembre et avril, la Sotracov s’est vu dans l’obligation de faire pression sur le ministère de l’Agriculture pour ouvrir le marché indien.

Une viande infestée par le sarcocyste
Donc, pour gagner près de 200 dollars sur le prix de la tonne, l’Algérie va importer une viande connue pour être potentiellement infestée par le parasite du sarcocyste. Que faire en présence du sarcocyste ? Selon un vétérinaire que nous avons consulté, en cas de parasitose, il faut décongeler la viande pour faire des tests. Or, la parasitose est exclue de fait par la réglementation algérienne qui ne prévoit qu’une batterie de 5 tests, excluant ladite parasitose. Il n’y a donc aucun moyen de la détecter à l’œil nu. Au terme d’un contrat établi entre l’Algérie et deux Etats indiens, dont le Maharastra, la Sotracov vient de passer commande de 2000 tonnes de viande congelée auprès des abattoirs indiens Allanasons. Selon nos sources, un autre contrat portant sur la fourniture de 1000 tonnes de viande de même nature a été signé avec un autre abattoir du nom d’Amrron, mais on ne sait pas, pour le moment, si cette deuxième commande est destinée au marché public ou au secteur militaire. Voilà pour ce qui est des marchés publics. Pour le privé, il demeure pour l’instant très difficile de savoir combien de contrats ont été signés jusqu’à présent. Nos sources estiment que la plupart des opérateurs privés ont fait machine arrière quand ils se sont renseignés sur les abattoirs indiens. Néanmoins, certains se sont engagés. C’est le cas connu de cet importateur privé dont la commande arrive dans quelques jours. Dans le milieu de l’importation, on se demande comment cet opérateur privé a pu procéder au paiement, quand on sait qu’aucune lettre de crédit n’est ouverte en l’absence d’une dérogation sanitaire. Comment les abattoirs indiens ont-ils fait pour pénétrer le marché algérien, l’un des plus rigides en termes de réglementation et d’autorisation ? Quel est l’argument massue qui a plaidé en faveur du marché indien à la réputation sulfureuse ? Nos sources soutiennent que les Indiens ont usé de procédés peu avouables pour avoir le marché algérien. Ils sont arrivés aux alentours du 6 mai 2010 et, quelques jours plus tard, le 18 mai exactement, le marché était conclu et le certificat signé.

Une ouverture de marché ultrarapide
Les opérateurs algériens disent n’avoir jamais vu, au cours de leur carrière, d’ouverture aussi rapide. D’habitude, il faut trois à quatre mois de négociations serrées et de pourparlers pour l’ouverture d’un marché. Là, il a fallu à peine une dizaine de jours. Comme si tout cela ne suffisait pas, la viande indienne pose encore le problème de son origine animale. Manifestement, il y a tromperie sur la marchandise puisqu’il ne s’agit pas de viande bovine tel qu’annoncé par les autorités politiques et sanitaires du pays. Cette viande serait celle du buffalo bubalus indien. Il s’agit d’un buffle et non d’un bœuf. Par ailleurs, le contrat algérien stipule que la marchandise concerne des bêtes de moins de 24 mois ; or un décret indien interdit formellement l’abattage de sujets de moins de 24 mois. Cherchez l’erreur...

Deux poids, deux mesures pour l’Inde et le Soudan
En fait, les Indiens n’arrivent à décrocher des marchés que dans les pays arabes, en Afrique et, à un degré moindre, en Malaisie. C’est-à-dire là où la corruption bat son plein. Ceci expliquant cela, partout où la viande indienne a été exportée, il y a eu des problèmes. Entre janvier et avril 2010, plus de 6000 tonnes de viande indienne ont été bloquées au niveau des ports égyptiens. Lorsque la piste soudanaise a été évoquée, il y a quelques mois, une délégation de vétérinaires algériens s’est rendue dans ce pays pour faire un état des lieux et des conditions sanitaires. A son retour, la délégation a été catégorique : « Les conditions sanitaires ne justifient pas l’ouverture. » Exit donc la piste soudanaise. Nos sources affirment que pour le contrat de la Sotracov, seuls des agréeurs ont été dépêchés en Inde. Aucun vétérinaire n’a fait le déplacement avant la signature du contrat. Si le rôle de l’agréeur est de vérifier les conditions sanitaires, celui-ci ne peut, cependant, remplacer le vétérinaire.

« Pourquoi cette précipitation ? », se demande un opérateur de la filière viande. Et pourquoi deux poids, deux mesures pour l’Inde et le Soudan ? Lorsque nous avons joint par téléphone la Sotracov pour avoir l’avis de ses représentants sur la question, il nous a été demandé de laisser nos coordonnées. Une demi-heure plus tard, nous avons été informés que le responsable de cet organisme était actuellement en mission à l’étranger. Contactés par nos soins, des responsables de l’Association nationale des importateurs de viande et de poisson (ANIVP) soutiennent que la qualité de la viande est du ressort de la Direction des services vétérinaires (DSV). C’est cet organisme qui négocie les accords sanitaires pour importer et c’est lui qui accorde les dérogations sanitaires d’importation. Nous n’avons pas pu avoir l’avis de la DSV. Ayant joint cette direction, nous avons été renvoyés d’un service à un autre avant de nous faire raccrocher au nez. Un autre problème posé par la viande indienne est que si elle s’avère impropre à la consommation, l’argent est perdu, car l’Algérie travaille avec des lettres de crédit et la marchandise est payée avant sa réception. La lettre de crédit indienne est ficelée de façon à ce que le paiement soit fait avant le contrôle de la marchandise. En cas de problème, l’argent est donc perdu.

Les Algériens font flamber les cours du buffle
Par ailleurs, les commandes algériennes ont apparemment fait flamber les cours de la viande indienne. Depuis que les Algériens ont investi ce marché, son prix est passé subitement de 2650 dollars à 3150 dollars la tonne. « Je suis un petit opérateur algérien, dit cet importateur. J’achète chez les mêmes fournisseurs que l’Etat algérien, en Argentine et en Allemagne notamment, et j’ai toujours payé 30% moins cher. » Explication : les Algériens passent par des intermédiaires. Il y a deux traders, en général, qui ont toutes les soumissions de l’Etat. La prise en charge et les services des agréeurs engagés par les organismes étatiques coûteraient également très cher au contribuable. Pourquoi ne pas commander directement chez les fournisseurs sans passer par des traders qui prennent leurs commissions ? Pourtant, l’Etat, avec tous ses moyens et toute sa logistique, peut très bien le faire. Par ailleurs, si les autorités veulent avoir une viande plus accessible aux citoyens, elles n’ont qu’à baisser les taxes. La LFC prévoit 17% de TVA sur la viande congelée et 0% sur la viande fraîche. Pourtant, c’est bien la viande fraîche qui présente une menace directe pour la production locale. Ce sont là quelques incohérences d’un secteur qui expliquent pourquoi on en est, aujourd’hui, à importer une viande de buffle coriace et infestée de parasites, alors que l’Algérien est en droit d’attendre un peu d’agneau tendre pour sa chorba.