imageComme prévu, les manifestants antigouvernementaux sont descendus dans les rues iraniennes, le 11 février, pour commémorer à leur façon le 31e anniversaire de la révolution islamique. Mais les forces gouvernementales ont réussi à réprimer ces manifestations. Aussi significatifs qu'aient été les actes des opposants en cette journée, leur portée va bien au-delà d'une journée, d'un anniversaire. La révolution iranienne de 1979 a été l'événement le plus marquant des trente dernières années au Moyen-Orient et a été à l'origine de conflits et d'une radicalisation qui ont remodelé la région et, à certains égards, le monde entier. Si ce qui se passe aujourd'hui est bien le lent détricotage de cette révolution, les conséquences seront tout aussi colossales.

Il s'agit là d'un enjeu à long terme. Le gouvernement islamique iranien dans sa forme actuelle est solidement en place, et les gardiens de la révolution qui le soutiennent sont de loin la force la plus puissante du pays. Le gouvernement du président Mahmoud Ahmadinejad a montré qu'il pouvait recourir de façon décisive à la force pour écraser la contestation. Lentement toutefois, les choses semblent changer. Tout d'abord, la communauté internationale considère de plus en plus la brutalité avec laquelle l'Iran traite ses dissidents comme un problème aussi grave que son programme nucléaire. Pour preuve de cette évolution, le 11 février, un groupe de sénateurs américains des deux partis a annoncé un projet de loi qui contraindrait le gouvernement Obama à adopter des sanctions économiques contre l'Iran pour les violations des droits de l'homme commises par des fonctionnaires sur des citoyens, et pas seulement pour les violations liées au programme nucléaire.

Les enjeux aussi sont énormes. Pour bien prendre la mesure des conséquences de la fin éventuelle de la révolution islamique, il faut se rappeler combien ces événements ont immédiatement modifié le cours de l'Histoire. La révolution de 1979 est l'événement qui, plus que tout autre, a favorisé l'essor du fondamentalisme islamiste au Moyen-Orient et dans le monde musulman en général. Cet essor a ébranlé des gouvernements dans toute la région, les incitant tantôt à faire des compromis avec les fondamentalistes et à leur accorder du pouvoir, tantôt à réprimer ces mouvements, créant du même coup un regain de sympathie à leur égard dans la population. C'est dans ce contexte que le gouvernement saoudien a offert, en 1979, pour la première fois, pouvoir, argent et liberté à son clergé conservateur. Ainsi, les éléments les plus conservateurs de la théocratie saoudienne ont pu répandre leur philosophie fondamentaliste non seulement dans leur pays, mais aussi au Pakistan ou au Yémen, semant les germes des troubles que l'on observe encore aujourd'hui. La montée du pouvoir islamiste en Iran a aussi conduit les Etats-Unis et les riches pays arabes à faire de Saddam Hussein le rempart contre la contagion révolutionnaire iranienne.

Un peu plus loin, au Liban, la révolution iranienne eut pour conséquence directe la création du Hezbollah, mouvement islamiste armé qui représente désormais pour Israël une menace militaire plus réelle qu'aucun des Etats arabes voisins. Au fil du temps, le gouvernement révolutionnaire de Téhéran a financé, sinon inspiré, le Hamas, qui a affaibli le mouvement palestinien laïc dans la bande de Gaza et le menace en Cisjordanie.

Il s'agit dès lors d'imaginer ce que sera le monde si la fin du régime iranien annule du même coup les effets secondaires de la révolution. Evidemment, les meneurs de l'opposition iranienne eux-mêmes ne veulent pas défaire la révolution iranienne, mais plutôt la réformer et la démocratiser. Cela soulève des interrogations quant à l'ampleur du changement qu'ils favoriseraient. Pour les dirigeants américains, la question la plus décisive est de savoir s'il est encore réaliste de penser que l'opposition iranienne peut durer et s'étendre, ou s'il ne s'agit que d'un pétard mouillé. Pour le dire autrement, ce qui compte le plus aujourd'hui ne tient plus au nombre exact de manifestants descendus dans les rues de Téhéran le 11 février. Ce qu'il faut savoir, c'est si le vent de l'Histoire a tourné contre le gouvernement islamique iranien tel qu'il existe depuis trente et un ans.