Sonia, c’est comme une contagion qui se laisse propager et qui, volontairement ou pas, imprègne de son tact, tout ce qu’elle touche, sent ou approche. Rebelle par naissance et anticonformiste par essence, elle semble trouver dans ses nouvelles fonctions de première directrice du théâtre régional de Skikda une arène, toute vierge, pour extirper ses démons créateurs et pérenniser, par sa présence, son expérience et sa grâce, la longue portée de cette Aïta qui depuis le temps, n’a jamais cessé de raisonner, .encore et encore et d’emblaver l’amour à tout bout de champ. « Je suis très heureuse d’être ici, dans ce joyau architectural qu’est le théâtre de Skikda. » Voilà qui est dit et qui se veut comme les trois coups de l’espoir. Un prélude qui aura certainement à haler le lourd rideau qui obnubilait la scène théâtrale de Skikda depuis plus de dix ans déjà et de redonner à la ville le goût d’un art, fut-il quatrième, qu’elle cultivait pourtant comme un bien naturel.

SoniaIl est connu que la vétusté des mentalités reste plus dangereuse que celle des bâtisses ; n’empêche, Sonia se refuse tous les préjugés et clame, sans état d’âme, qu’elle a été agréablement surprise par le potentiel humain qu’elle a trouvé dans l’ancien théâtre communal rehaussé depuis en un théâtre régional. « Vous savez, j’ai eu de la chance d’hériter d’un personnel rodé déjà aux choses du théâtre. Plus encore, j’ai été très surprise par la présence d’un groupe de jeunes comédiens, bourrés de talent et qui en plus démontrent une grande disponibilité, une soif d’apprendre et de se perfectionner. »

El Misbah…., tel un présage….
En deux mois seulement, Sonia s’est démenée sur tous les plans pour doter le tout nouveau théâtre régional de Skikda des mécanismes essentiels devant lui permettre de fonctionner, de produire, en attendant d’autres acquis. Désormais, l’esquisse de ce que sera le théâtre régional de Skikda se dessine, au jour le jour « doucement mais sûrement », rassure- t-elle. Les premiers changements sont là et il suffit juste d’arpenter la porte du théâtre pour ressentir l’aura qui a longtemps manqué à ce lieu mythique de la culture locale. Quelques petits aménagements, sobres mais raffinés, sont apportés à la direction et l’ambiance, tout en restant bon enfant, dénote néanmoins d’une certaine discipline.

« Moi, je ne sais pas travailler en solitaire, j’aime le travail d’équipe et j’entends préserver l’identité de ce théâtre et puiser dans les valeurs locales », précise Sonia. Hatta El’tem semble dire la dame du théâtre, elle qui a eu à ausculter, à psychanalyser et à disséquer, sur le divan scénique, toutes les folles mégères, les maux et les faux semblants pour se permettre de dénoncer les a priori. Les dénuder même. Sonia, dans son approche du théâtre local, semble vouloir opter par l’offensive sans tergiversation aucune, histoire de donner le ton et titiller la situation catastrophique du théâtre skikdi qui s’est perdu dans les aléas de la médiocrité, du politiquement « islaho » correcte, du « sketchisme » et du simplisme cérébral. En optant pour le crescendo, vu le manque flagrant de moyens techniques, elle donne l’impression de refuser les faits accomplis en donnant le starter du renouveau.

Tout un travail. « L’enfant est notre public futur », lance t-elle en même temps qu’elle lance, dès son arrivée à Skikda Aladin et la lampe merveilleuse, une création pour le jeune public. « C’est une adaptation du Syrien Adnane Djouda tirée des contes des Mille et une nuits. Ce sera notre première création ». En évoquant cette œuvre, Sonia en parle comme d’un nouveau-né qui a droit à tous les égards. Sans surenchère, elle ajoute : « Nous sommes très fiers d’avoir pu mener à terme ce projet avec une composante artistique constituée à plus de 90 % de comédiens locaux. »

La pasionaria de Dorst
Le succès de cette première pièce n’est cependant pas une fin en soi. Ce ne sera qu’un préliminaire en attendant la poursuite de ce que Sonia qualifie de « défrichage », car à peine la première pièce parachevée, le théâtre de Skikda sera appelé à placer la barre très, très haut en s’attaquant à une œuvre des plus universelles : La Grande imprécation derrière les murs de la ville, du Germanique et non moins humaniste Tankred Dorst. Rien que ça ! En parlant de ce projet et sans s’en rendre compte, Sonia s’enveloppe soudain et comme par magie d’un faciès serein et un petit chouia rêveur. Aussitôt, elle part, nonchalante à imager et à imaginer ce que sera cette imprécation du drame humain comme si elle incarnait déjà le rôle de l’héroïne.

« La pièce de Dorst est en fait du théâtre dans le théâtre. C’est une parabole dénonçant la guerre et toutes les formes d’oppression. C’est l’histoire d’une femme qui part au temps de la Chine impériale à la recherche de son homme et reste prête à jouer tous les rôles pour briser le mur qui la sépare de ce soldat qu’elle voudrait récupérer. Dans l’adaptation faite par Khaled Bouali, nous avons opté pour l’intemporel. Notre pièce ne se limitera pas, comme dans le texte original, à cette Chine impériale, mais plutôt à l’universalité. Côté artistique, c’est une palette incroyable d’interprétation qui se meut dans une incroyable dynamique aux limites du réel et de la fiction. »

Ce que Sonia ne dit pas, c’est que ce texte n’a jamais quitté son sac à main depuis plus de cinq ans déjà. Elle l’a gardé en attendant des jours meilleurs, consciente, en dramaturge avertie, de la force de la pièce et de la valeur morale que Dorst avait collées à son imprécation. C’est du grand art. Du grand théâtre utile, dérangeant, universel avec, en plus, un insatiable plaisir du spectacle. Du théâtre comme on n’en fait plus ! La pièce de Dorst, qui a été jouée par plus de150 troupes à travers le monde, se veut comme une authentique parabole brechtienne, même si elle se refuse à l’effet trop moralisateur de Lehrstück. Dans le monde arabe, seule la troupe marocaine Théâtre L’Autre Rive de Mohamed Nadif qui a joué El Ajouad de Alloula, s’est tentée aux délicatesses du chef-d’œuvre de Dorst en l’adaptant en Aïcha.

En narrant, comme dans un émouvant monologue la pièce de Dorst, Sonia donnait l’impression de vaguer dans les airs comme si elle était en train de la jouer. A la regarder, à l’écouter, on se croirait en plein dedans. Son ton, son regard et même les fébriles gesticulations de ses doigts prennent soudain une tournure extraordinaire pour transmettre son insatiable soif de se confondre en cette femme. Oui, à la regarder, on ne peut s’empêcher de penser qu’elle aurait tellement aimé jouer cette femme que Dorst avait esquissée pour la mener, telle une Don Quichotte du sexe faible, combattre la domination des hommes, celle des pouvoirs, des préjugés et tous les jougs.

Mais Sonia rêve d’autre chose et elle n’est guère amatrice du cumul, encore moins de l’autosuffisance. Elle voudrait plutôt encourager et enfanter plein d’autres Sonia. « C’est la comédienne Linda qui aura la lourde tâche d’incarner cette femme qui est l’élément principal de la pièce. C’est une jeune comédienne pleine de talent et qui promet », juge la directrice du théâtre de Skikda. On vous le disait, Sonia est une grande dame. Une grande âme. Les répétitions ne devraient pas tarder et c’est Sonia qui aura à assurer la mise en scène de cette œuvre, pleine de grandeur et de complexités, de Dorst qui vient juste d’obtenir le Prix européen de littérature, en reconnaissance à son talent et à son impact sur le théâtre. Sonia, il est vrai, n’a pas eu l’opportunité de jouer le rôle de cette Fan Chin-Ting, héroïne de Dorst sur les planches, par contre, elle joue au quotidien le même rôle, en vrai, devant les grands murs du théâtre de Skikda. Mais le sait-elle seulement ? !