Entretien de Monsieur le Ministre, B. Benbouzid avec nos confrères de Liberté.

La rentrée 2009/2010 se caractérise par de nouvelles mesures, notamment le passage de 27 à 35 semaines et un nouveau week-end. Quel impact ces mesures peuvent-elles avoir sur la performance du système éducatif ? Que répondez-vous, par ailleurs, à ceux qui considèrent que deux jours et demi de repos par semaine (vendredi, samedi et mardi après-midi) c'est trop et pourquoi vous avez reculé finalement sur la séance de cours à 45 minutes ?

Le Pr B. BenbouzidB. Benbouzid : Concernant la première partie de votre question, je tiens à vous rappeler que notre département ministériel est engagé depuis 2003 dans la mise en œuvre de la réforme de l'École algérienne. Plusieurs dossiers ont été ouverts et d'autres sont en voie de lancement. Parmi ces derniers, figure — entre autres — la réorganisation de l'année scolaire. Si nous avons décidé d'augmenter le volume horaire annuel consacré aux apprentissages, c'est pour deux raisons. D'abord, pour nous adapter à la tendance mondiale et, ensuite, juguler définitivement le problème récurrent des programmes non achevés et des fins d'année difficiles. À titre comparatif, les pays européens assurent en moyenne 38 semaines de cours par an au primaire (un volume de 828 heures de cours) et 37 semaines au secondaire (pour 900 heures). Nos voisins tunisiens et marocains sont à 35 semaines pour tous les cycles. En Algérie, la loi d'orientation 04/08 de janvier 2008 fixe la durée de l'année scolaire à 32 semaines, au minimum. Dans la réalité, nos élèves ne bénéficient que de 27 semaines. Comme vous pouvez le constater, il y a un dysfonctionnement à corriger et une mise à niveau à opérer afin de faire profiter l'enfant algérien du maximum d'opportunités pour se réaliser. Question de bon sens, plus l'élève engrange de cours, mieux il apprendra. Il y a une nette corrélation entre la durée de l'année scolaire (en termes de cours dispensés) et la qualité de l'éducation/instruction dispensée. Les travaux de recherche en sciences de l'éducation ont mis en évidence cette corrélation. Pour la deuxième partie de votre question, je tiens à relever une contradiction. D'un côté, ces voix prétendent que les programmes sont surchargés et que les enfants ont trop de travail, et de l'autre, ils leur refusent le droit au repos de deux jours par semaine. Ces mêmes voix s'opposent aussi à la décision d'augmenter le volume horaire annuel (nombre de semaines) lequel permet justement de gommer le spectre des programmes non achevés. N'est-ce pas que les familles algériennes gagneront en ayant plus de temps pour communiquer avec leurs enfants scolarisés. Je parle là des familles où les parents travaillent et qui, jusque-là, n'ont pas assez de temps à consacrer à leurs enfants. Le repos est bienfaiteur pour nos élèves. Il est recommandé par les spécialistes en chronobiologie. Quant à la demi-journée du mardi, elle n'est pas libre. Elle est destinée aux activités périscolaires culturelles, sportives et artistiques. C'est aussi une plage horaire conséquente pour les séances de remédiation et de remise à niveau pédagogique en direction des élèves en difficulté et des candidats aux examens. Sur la question des 45 minutes, le ministère de l’éducation nationale (MEN) n'a pas reculé. Pas du tout. Nous avons avancé des propositions à nos partenaires, les syndicats d'enseignants et les parents. Elles ont été discutées. J'ai personnellement pesé les arguments des uns et des autres avant d'opter pour l'étude approfondie de la formule au cours de cette année scolaire, avant son éventuelle généralisation. Encore une fois, ce n'est pas un choix délibéré. Il s'agit d'une exigence de la nature humaine mise en valeur par la chronobiologie : I'état de vigilance de l'être humain varie selon son âge. Selon les spécialistes travaillant sur les rythmes scolaires, la vigilance de l'élève en salle de classe — son attention et sa capacité de concentration sur une activité intellectuelle — a une certaine limite. Au-delà, il ne suit pas le cours. Dans le monde, les leçons à 60 minutes disparaissent peu à peu grâce aux progrès de la pédagogie et des moyens modernes d'enseignement. À l'exception de rares pays qui maintiennent l'ancienne formule, les autres dispensent des leçons de 45 à 50 minutes. Avec la réforme, nous sommes en train d'intégrer les progrès de la pédagogie universelle (dans la conception des programmes et les méthodes d'enseignement) et d'acquérir ces moyens modernes, les TIC en particulier. La leçon à 45 minutes viendra en son heure, une fois que toutes les conditions seront réunies pour son application.


Vous avez déclaré Monsieur le Ministre que ces mesures découlent en droite ligne de l'application de la réforme du système éducatif. À quand le point final à cette réforme qui dure depuis plus de dix ans pour en faire une évaluation ?

B. Benbouzid : Forcément, tout ce que nous entreprenons comme innovation ou changement découle de la mise en œuvre de la réforme. Il ne saurait y avoir de point final — au sens de disparition totale — que pour les dysfonctionnements et carences relevées. Dans son esprit, la réforme est synonyme de dynamique permanente chargée de traquer l'immobilisme, la sclérose et les déficits. Elle ne peut avoir de “point final” dans la mesure où elle est le moteur du système scolaire. À ce titre, son pilotage nécessite une ouverture en direction des travaux de recherche, des expériences internationales, une écoute continue de l'écho du terrain. Maintenant, il existe des dossiers techniques qui débutent et se clôturent à partir d'une planification étalée sur un nombre d'années. Nous citerons le dossier de la généralisation des TIC, des classes du préparatoire ou encore du relèvement du niveau académique des enseignants. Vous évoquez l'évaluation de la réforme. Elle se fait en interne et de façon permanente par l'INRE (Institut national de recherche en éducation), le corps inspectoral qui est en contact direct avec le terrain, par les différents services des directions de l'éducation et par nos directions centrales qui coordonnent et font des recoupements à partir des données recueillies. Nous sommes aussi assistés par des experts nationaux et internationaux à qui nous commandons des études. Tous ces intervenants activent au sein d'un dispositif permanent dédié à l'évaluation du processus de la réforme.


Que répondez-vous aux nombreux observateurs qui estiment que cette réforme a un caractère plus administratif et bureaucratique en ce sens qu'elle n'a pas touché aux fondements philosophiques du système comme l'avait préconisé la commission Benzaghou installée par le président Bouteflika au début de son premier mandat ?

B. Benbouzid : Le rapport final de la Commission nationale de la réforme du système éducatif (CNRSE) a été remis au président de la République. Ce document a fait l'objet de cinq réunions du Conseil de gouvernement. C'est dire l'intérêt que lui a porté le président de la République et le gouvernement. Cette étude approfondie par le Conseil de gouvernement a été rehaussée par la tenue d'un Conseil des ministres qui lui a été spécialement consacré. C'est ainsi que ce dernier a arrêté 52 mesures approuvées par les deux chambres du Parlement. Il s'agit d'une feuille de route pour la mise en œuvre de la réforme du système éducatif dans sa globalité. Parmi ces mesures, 48 concernent le MEN. Quant aux fondements philosophiques que vous mentionnez, ils sont inscrits dans les textes fondamentaux de la République : la Constitution et plus récemment la loi 04/08 de janvier 2008. C'est dans ce cadre qu'a été élaboré, pour la première fois, le référentiel de l'École algérienne. Il a servi d'ancrage à la réforme du système éducatif. Partant de là, notre système éducatif est tenu de valoriser son appartenance géographique, historique, humaine et civilisationnelle. Il doit promouvoir les valeurs en rapport avec l'algérianité, perçue en tant que trame historique de l'évolution de notre société. Ces valeurs ont trait aux dimensions nationale, scientifique et technique, humaine et universaliste. Il nous appartient de leur donner vie en les enracinant dans l'esprit et le cœur de nos enfants. À cet effet, les matières structurant la personnalité ont été introduites telles que l'éducation civique et morale, I'histoire, la géographie, I'éducation islamique et la langue arabe.


Les résultats du bac 2009 ne sont pas à l'avantage de certaines écoles privées où la préoccupation mercantile a pris le pas sur les impératifs de performance pédagogique. Que comptez-vous faire contre cette dérive dès lors que ces écoles sont agréées et quelles mesures comptez-vous prendre aussi pour lutter contre ce que les observateurs qualifient de business des cours particuliers ?

B. Benbouzid : Suite à l'ouverture démocratique, I'État algérien a entériné officiellement l'existence des établissements privés. Ils viennent renforcer les capacités du pays et compléter les efforts de l'école publique pour satisfaire la demande sociale en éducation. L'expérience des écoles privées en Algérie est récente. Le démarrage n'a pas été mauvais. Ces écoles sont régulièrement inspectées et certaines ont été sanctionnées. Cette réalité que vous décrivez ne nous réjouit pas pour la simple raison que les enfants scolarisés dans ces écoles privées sont aussi nos enfants. Le MEN continuera à aider, à encourager et à accompagner ces établissements tout en restant vigilant. Pour ce qui est des cours payants, ce phénomène n'est pas spécifique à l'Algérie. Je comprends les parents qui angoissent devant l'avenir de leurs enfants. Le ministère de l'Éducation nationale travaille en vue de l'enrayer en utilisant tous les moyens réglementaires. D'ailleurs, I'un des effets immédiats de la nouvelle réorganisation de l'année scolaire consiste à permettre aux enseignants de disposer du temps nécessaire pour achever leur programme. De la sorte, ils pourront offrir — en salle de classe et non à l'extérieur — des révisions et du soutien à leurs élèves. Sur ce point précis, il est utile de rappeler les mesures prises par le ministère de l'Éducation nationale. Nous organisons, à titre gratuit, des cours de soutien et des études surveillées. Les établissements scolaires sont instruits d'utiliser les heures de I'après-midi du mardi et les vacances scolaires afin d'organiser des séances de remédiation au profit des élèves candidats aux examens et à à ceux en difficulté. Il appartient aux parents d'encourager leurs enfants à les suivre avec assiduité.


Que répondez-vous aux syndicats qui proposent que les six semaines ajoutées à l'année scolaire soient payées en heures supplémentaires et où en êtes-vous avec les partenaires syndicaux du dossier sur le régime indemnitaire ?

B. Benbouzid : Dans aucune de mes rencontres avec les syndicats, je n'ai eu à entendre pareille revendication. Les enseignants sont des fonctionnaires régis par le statut général de la Fonction publique et le statut particulier. À ce titre, ils sont soumis à la réglementation en vigueur. Pour ce qui est du dossier du régime indemnitaire, les consultations ont débuté avec les syndicats. Une commission mixte syndicats-MEN a été installée. Ses membres travaillent en vue de dégager des propositions concrètes. Des réunions sont programmées avec les partenaires en vue de rapprocher les positions des uns et des autres. Pour moi, l'essentiel réside dans cette amorce d'une communication franche et dans cette volonté de tous les partenaires de mener ce dossier à bon port.


Le livre scolaire sera-t-il disponible en quantité suffisante pour tous les paliers et tous les niveaux. Quand est-ce que les élèves auront des manuels techniquement bien faits et surtout sans coquilles ?

B. Benbouzid : Pour cette rentrée scolaire, la disponibilité en livres scolaires est largement assurée avec une production avoisinant les 62 millions d'exemplaires. Cette année, les prix à la vente ont baissé de 10%. Nous avons reconduit la mesure de gratuité du manuel scolaire au bénéfice de la moitié des élèves scolarisés : les élèves issus des familles démunies, ceux des classes préparatoires, de première année primaire ainsi que les enfants scolarisés des personnels du secteur. Une enveloppe financière de 6,5 milliards de dinars a été allouée à cette opération de solidarité. L'Office national des publications scolaires (Onps) a maintenant acquis une grande expérience en matière d'impression et de distribution. Vous avez raison de dire qu'il reste à améliorer la qualité technique des ouvrages. Toutefois, nous ne pouvons occulter les progrès qui ont été faits ces dernières années (qualité des photos, du papier). J'attache une grande importance à la bonne tenue des manuels lors de leur élaboration. Nous avons installé une commission composée d'enseignants, d'inspecteurs et d'universitaires. Ils travaillent depuis deux ans au niveau de l'INRE pour réviser et éventuellement corriger l'ensemble des ouvrages.


Avec le risque de grippe porcine, est-ce que votre département a pensé à mettre en place un dispositif de veille et de prévention, comme c'est le cas dans les pays européens ?

B. Benbouzid : Le gouvernement a mis sur pied une commission interministérielle de veille dont nous faisons partie. Nous travaillons en étroite collaboration avec nos collègues de la Santé, de l'Intérieur et des Collectivités locales. Deux plans ont été mis en place. Le premier comporte des opérations de sensibilisation des personnels et des élèves. Ce travail a commencé par un regroupement d'inspecteurs encadrés par des médecins spécialistes. Ces séances de sensibilisation/formation continueront en direction de tous les élèves et de tous les personnels de l'éducation au niveau des établissements scolaires du pays. Le deuxième plan de mobilisation se traduira par la fermeture temporaire des établissements scolaires. Toutefois, ce plan n'aura lieu que si la pandémie est officiellement déclarée dans notre pays. À ce niveau d'alerte, le MEN a pris les dispositions nécessaires pour répondre aux besoins des élèves candidats aux examens : cours numérisés sur les sites officiels du ministère, cours retransmis par les médias lourds. Les détails seront portés à la connaissance des intéressés en temps opportun.