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"Violation de la Constitution", "atteinte à l'unité nationale", "trahison du serment des martyrs"... Ce qui était censé être une affaire pédagogique a pris une tournure politique et idéologique. Des partis politiques, des associations et des dignitaires religieux ont fait bloc contre la recommandation d'experts d'insérer de l'arabe dialectal dans l'enseignement scolaire. La recommandation a été exprimée cette semaine lors d'une conférence nationale sur l'évaluation de l'école, sans être adoptée officiellement.

Des députés de la coalition Alliance Verte ont réclamé le départ immédiat de Nouria Benghebrit, la ministre de l’éducation nationale, a qui ils reprochent des penchants francophiles.

La question linguistique a toujours fait l'objet de vifs débats. Si le statut officiel de la langue arabe fait consensus, la place de Tamazight, reconnue comme langue nationale depuis 2002, et du français, langue de l'enseignement scientifique et des affaires soulève des polémiques sans fin.

Le pays avait même adopté une loi généralisant l'emploi de la langue arabe dans toutes les institutions à partir du 5 juillet 1998. Mais son application a été reportée, car il était peu réaliste d'abolir aussi abruptement tout recours au français.

Les conservateurs voudraient que l'arabe littéral soit doté d'un statut hégémonique et le français réduit au rang de langue étrangère en concurrence avec l'anglais, tandis que le Tamazight reste confiné dans les seules régions où il est parlé. Ils ont peu de considération pour l'arabe dialectal, tissé d'emprunts au français, à l'espagnol ou au berbère.

Or, l'arabe académique que l'enfant algérien découvre à son entrée à l'école à six ans est loin du dialectal qu'il avait jusque là parlé à la maison, variable d'une région à une autre, et plus loin encore du berbère. Cette distorsion est à l'origine d'un important échec scolaire, estiment les spécialistes qui militent pour une introduction de l'arabe dialectal et du berbère, langues maternelles, dans les deux premières années de l'enseignement, afin de faciliter l'acquisition des notions fondamentales.

"En utilisant la langue maternelle dans l'enseignement, on développe une partie importante du cerveau", argumente Nouria Benghebrit en citant des spécialistes en neuro-sciences. Les spécialistes "disent aussi que pour augmenter les capacités linguistiques des enfants, il faut s'appuyer sur les langues maternelles", poursuit la ministre interrogée jeudi par le quotidien El Watan. Dans son plaidoyer, Nouria Benghebrit estime que "la langue arabe est très mal enseignée" aujourd'hui. "Même dans les wilayas du sud où un nombre important d'enfants fréquentent les écoles coraniques -où ils se familiarisent avec l'arabe littéral avant l'école-, les résultats sont très faibles", insiste-t-elle. Et d'asséner: "s'il n'y a pas de maîtrise de la langue arabe scolaire il n'y aura pas de réussite, y compris dans les matières scientifiques et les mathématiques".

"Il faut parvenir à la langue arabe académique de manière progressive", soutient Farid Benramdane, inspecteur général chargé de la pédagogie. "L'enfant ne doit pas subir un choc en découvrant à l'école une langue qui n'est pas celle de son foyer", poursuit-il dans une interview au quotidien El Khabar.

Pour l'association des Ulémas (docteurs de la foi), "cette démarche nous reconduit à l'ère de la colonisation". Un de ses responsables, Amar Talbi a appelé "les associations civiles et les institutions culturelles à combattre cette idée pour préserver la pureté de notre langue et la mettre à l'abri de toute menace".