Pour les juges milanais, il n’y a aucune preuve sur le versement de pot-de-vin, mais les déclarations de certains responsables font état du paiement de 197 millions d’euros pour les 7 marchés obtenus en Algérie, pour un montant de 9 milliards de dollars.

Quelle interprétation pouvons-nous faire aujourd’hui du contenu du Conseil d’administration de Saipem rendu public, en juillet dernier, et écartant toute preuve de paiement et de pots-de-vin versés à des agents publics algériens? Une seule. Les responsables de la filiale du géant pétrolier italien ENI veulent, tout comme du côté algérien, éviter toute traçabilité de ces fonds provisoirement estimés (par le parquet de Milan) à près de 197 millions de dollars. L’on se rappelle qu’en début du mois de juillet dernier, le conseil d’administration de Saipem, à la suite d’une réunion consacrée à l’examen d’un rapport d’audit interne, qu’il avait commandé quelques mois auparavant, a déclaré, dans un communiqué rendu public, qu’«aucune preuve de paiements et de pots-de-vin versés à des agents publics algériens n’est trouvée à travers l’analyse des contrats conclus en Algérie». Le conseil d’administration a préféré évoquer «des cas de violation du règlement intérieur et des procédures en vigueur à l’époque des préjudiciables aux intérêts de la société. Procédures qui concernent l’approbation et la gestion des contrats de courtage et de sous-traitance en Algérie».

Saipem-AlgérieDe ce fait, il a indiqué avoir décidé «d’enclencher une procédure judiciaire contre certains anciens employés et fournisseurs de services afin de protéger les intérêts de la société».

Mais aussi bien pour le juge de Milan, que pour son homologue du pôle pénal spécialisé d’Alger, ces cas de violation de la procédure sont des faits de corruption avérés pour lesquels de nombreuses personnes, dont Saipem en tant que personne morale (en Algérie), et des responsables de la société mère ENI, (en Italie).

Des faits révélés par cet ex-patron de la direction d’ingénierie et de construction, Pietro Varone, qui a fait l’objet d’une arrestation par le parquet milanais, le 28 juillet dernier. Il avait déclaré avoir remis de l’argent à Farid Bedjaoui qui lui affirmait les remettre directement à Chakib Khelil. Mieux encore, l’ancien directeur général de Saipem Algérie, Tllio Orsi, qui avait quitté mystérieusement le pays dès l’éclatement de l’affaire en 2010, avait déclaré au juge italien que Chakib Khelil assistait aux côtés de l’intermédiaire Farid Bedjaoui, lors des négociations et de la conclusion des transactions douteuses entre Sonatrach et Saipem. A ces rencontres qui se déroulaient à Paris (hôtel George V), avait-il ajouté, assistaient les responsables de Saipem et l’administrateur délégué d’ENI, Paolo Scaroni. L’ancien dirigeant a souligné en outre: «D’autres rencontres pour d’autres affaires auraient eu lieu à l’hôtel Bulgari à Milan, entre Bedjaoui, certains collaborateurs, représentants de sociétés algériennes et des gestionnaires du groupe ENI.»

L’ancien DG de Saipem Algérie a donné d’importantes informations au parquet de Milan qui ont permis de construire toute l’enquête sur des faits de corruption. Des faits que l’audit interne de Saipem n’a pas vu ou n’a pas voulu voir. Y a-t-il une volonté délibérée de la part des dirigeants de l’ENI de protéger les amis algériens d’hier pour préserver les intérêts d’aujourd’hui et demain, sachant que Saipem Algérie vit une grave crise financière en raison des scandales? Pour l’entreprise italienne, c’est la descente aux enfers. Elle a perdu près de 50% de sa valeur sur le marché et affiche l’un des pires résultats à la Bourse italienne, avec un recul de 55,9%, selon la presse économique qui a précisé qu’en Algérie, sa position a enregistré une nette détérioration.

Le patron du groupe, Paolo Scaroni, avait d’ailleurs reconnu que «l’attitude de Sonatrach envers nous a énormément changé au cours des dernières semaines (…) probablement en raison de la récente intensification et l’élargissement de l’enquête menée par les autorités algériennes». «En fait, l’enquête a ralenti la société, et Saipem a perdu beaucoup d’argent et risque même d’en perdre plus, depuis que Sonatrach a décidé d’intenter une action pour récupérer des dommages et intérêts», avait rapporté le journal The Financial. Toutes ces raisons ont fait que les dirigeants du groupe italien ont publiquement écarté «toute preuve de corruption» dans la gestion de leur filiale à Alger.

Il faudra attendre les conclusions de l’instruction à Milan pour lever le voile sur cette affaire et surtout situer les responsabilités de tous ceux qui sont impliqués dans ce scandale, quels que soit leur rang ou leur puissance.